Le vieux forgeur

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Le père était bon, et homme de forge,
I’disait souvent, en faisant fier,
Bombant l’torse, gonflant la gorge,
Et dans son vocabulaire :

“Moi, j’fas des jouets pour militaires,
Qui crachent le fieu par tous les trous !
Canons, fusils revolvers,
Tou’ prêts à tuer trente hommes d’un coup !
C’est point qu’j’soye tell’ment pour la guerre,
Mais y’a des hommes que ça lasse pas,
Et tant qu’i m’laissent à mon affaire,
J’les aide à passer à trépas !
Avec l’art, monsieur, et la manière,
Pa’ce que j’fais pas n’importe quoi !
Vingt ans qu’j’respire l'limaille de fer,
Vingt ans qu’je sue à perdre mon poids
Dans la chaleur du feu d’l’enfer
Qui m’laisse des traces sur tous les bras !
Moi, j’m’y connais et j’sais y faire,
Mais quand l’feu mord, ça pardonne pas !”
Là-dessus r’troussant son pull-over
Il nous montrait ici et là,
Des boursouflures comme des congères,
Qui descendaient jusqu’à ses doigts.
Et le Dimanche, jour d’église,
Le père nous emboîtait le pas
Mais i’allait en bras d’chemise
Pour que ses peines, Dieu les voit.
I’s’plaignait rarement, le père,
Et pourtant il avait d’quoi !
C’tait un taiseux muet comme la pierre
Quand on lui d’mandait si ça va,
Mais personne pensait qu’la misère
Aurait raison de cet homme-là.
On l’a r’trouvé juste derrière,
Une bille de neuf dans les foies,
Sans manches, les cicatrices à l’air
Comme pour dir' “Diab’ les aura pas !”
24/03/2018
 

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